Echappant à tout plan de contrôle, le phénomène est devenu préoccupant et semble être plus fort que les capacités des autorités. Vendre, au bord de la route, divers produits dont l’origine est souvent inconnue, c’est un pain quotidien au centre-ville de Tunis, où des dizaines de milliers de personnes traversent les rues et les places quotidiennement, un trafic constituant une mine d’or pour les vendeurs à la sauvette qui jouent au chat et à la souris avec les forces de l’ordre et la police municipale. Pendant ce temps-là, la sécurité et la santé des acheteurs sont mises en danger. Pour cause : des produits de contrefaçon présentant divers risques notamment en ce qui concerne les produits cosmétiques et les jouets de l’Aïd.
A l’approche d’une saison touristique prometteuse, à Tunis, les étals anarchiques, qui poussent comme des champignons, sont innombrables. D’ailleurs, à l’avenue Charles de Gaule, bastion de l’étalage anarchique dans la capitale, il est fréquent de se trouver coincé au milieu d’une foule tombée sous le charme des prix de produits exposés à monsieur – tout – le monde. Ce sont notamment les produits cosmétiques et de beauté qui attirent le plus. Là, ces produits se vendent comme des petits pains surtout en cette période de fête de l’aïd. Car, d’une part, leurs prix sont si abordables qu’ils font oublier ceux des produits exposés dans les commerces et points de vente reconnus et, d’autre part, il existe une panoplie de choix qui satisfait tous les goûts. Ainsi, quelques sous sont suffisants pour se procurer ce que dont vous aurez besoin. Mais qu’en est-il de la qualité de ces produits ? La réponse nous parvient d’une jeune étudiante de 21 ans qui a opté pour un rouge à lèvres mis en vente dans un étal anarchique installé près du marché central de Tunis. Pour elle, la qualité est incomparable avec celle d’un autre rouge à lèvres d’une enseigne reconnue. «Si nous achetons ce genre de produits c’est parce que nous sommes obligés de le faire, ce n’est pas un choix. En dépit des problèmes sanitaires et de la mauvaise qualité, nous continuerons à en acheter parce que nous ne pouvons pas nous offrir d’autres produits qui coûteraient des dizaines de dinars», explique-t-elle, elle qui s’est offert cet article à 2 dinars, un grand sourire aux lèvres.
A la place de la République de Tunis, plus précisément en face de la station de la République connue plutôt sous l’appellation de « Passage », les images sont les mêmes. Des produits cosmétiques exposés en plein soleil, des passants qui négocient les prix et des cris assourdissants des marchands hors la loi voulant liquider, à tout prix, leurs marchandises. Parmi eux, Adel, un père de famille de 37 ans qui met en vente divers produits dont notamment des articles de beauté. Selon ses dires, ces articles sont les plus demandés et les plus vendus. Questionné sur leur origine, il nous a expliqué, sans surprise, que toute la marchandise provient du souk Boumendil. «C’est là où tous les marchands ambulants s’approvisionnent», a-t-il confié discrètement. Or ce n’est pas un secret : Boumendil est connu depuis des années comme étant l’artère de la contrebande à Tunis, pourtant aucune mesure n’a été prise contre ce phénomène.
Ces étals semblent être, en effet, plus puissants que les autorités. Opérant en toute clandestinité, ils s’affichent publiquement comme si c’était un droit acquis de squatter ces lieux et vendre des produits dont l’origine est inconnue. En plein jour et en heure de pointe, alors que des passants se précipitent pour rejoindre la station, ces étals occupent littéralement la voie publique, créant de véritables bouchons de circulation de piétons. Des piétons qui peinent à trouver leur chemin au milieu de ces étals, on se croirait d’ailleurs dans un Souk où l’anarchie bat son plein.
Pour un aïd sans dangers
En cette période d’aïd, c’est aussi le commerce de jouets et de pétards et autres gadgets qui prospère, en dépit des grands risques qu’ils présentent sur la santé et la sécurité des enfants. Il y en a de toutes les couleurs, pistolets, voitures, poupées, pétards, feux d’artifice… Devant ces étals, l’activité est si importante que parfois les trottoirs rétrécissent comme peau de chagrin. Et ce sont les cris et crises d’enfants qui rendent l’ambiance encore plus désagréable, car ici tout nous fait rappeler que l’anarchie règne en maître, aucune place pour l’ordre.
En effet, dans ces lieux, il n’est pas toujours facile de faire entendre raison à un enfant fasciné par des jouets de toutes sortes. Les scènes sont semblables et se reproduisent fréquemment : des crises d’enfants voulant acquérir à tout prix un jouet si attirant, et des parents agacés et sous pression, essayant de les calmer, parfois d’une façon agressive. «Tu veux tout acheter alors que tu as les mêmes à la maison, si tu n’arrêtes pas tes crises je te punirai», c’est sous ces menaces de sa mère qu’un enfant de cinq ans voit son rêve d’ajouter un nouveau jouet à sa collection se briser.
Consciente des dangers de ces jouets, cette mère de famille exprime ses inquiétudes mais reconnaît que les prix des jouets sont les principales motivations. «Après les dépenses du mois de ramadan et les vêtements de l’aïd, je ne peux pas me permettre d’acheter des jouets de qualité à des centaines de dinars, c’est inabordable. Je suis consciente des dangers de certains jouets, mais j’essaye toujours de vérifier tous les petits détails avant d’acheter quoi que ce soit, surtout en ce qui concerne les petites billes des pistolets», s’exprime-t-elle.
Un réseau de vigiles
Dans ce mini-écosystème économique, on ne pourra entendre que les cris assourdissants de ces vendeurs clandestins vantant leurs produits, pourtant en majorité issus de marchandises de basse qualité, un fait qui, vraisemblablement, ne pose aucun problème, puisque les passants sont nombreux à s’attarder devant ces étals.
Mais si ce phénomène échappe au contrôle des autorités, c’est parce que ces vendeurs clandestins, ingénieux qu’ils sont, ont pu mettre en place une sorte d’un système de vigilance totale. Explications : ce sont les stratégies d’évasion et de vigilance adoptées par ces commerçants ambulants qui leur permettent de poursuivre leur activité hors la loi. Selon les constats et les témoignages que nous avons recueillis dans plusieurs endroits de la capitale Tunis, ils ont pu mettre en place un réseau de vigiles, qui s’efforcent de suivre tous les pas des équipes de contrôle, et une fois le signal donné, ils disparaissent en un clin d’œil. C’est pour cette cause qu’il est fréquent de voir, dans les ruelles et les artères de la capitale, ces contrevenants courant à toute vitesse et balançant leurs marchandises partout, évitant ainsi les amendes des équipes de contrôle et la police municipale. Jouer au chat et à la souris, une expression qui pourrait résumer parfaitement la situation et qui explique pourquoi la municipalité de Tunis, ou d’autres municipalités, peine à éradiquer définitivement ce phénomène. Aujourd’hui, Tunis souffre de nombreux points noirs d’étalages anarchiques dans chacun de ses coins. Il suffit de se rendre du côté de Bab el Jazira, la rue Charles de Gaulle, la rue d’Espagne, les alentours du marché central, ou n’importe où pour s’apercevoir de la gravité de ce phénomène. Mais les fourmilières de ces vendeurs ambulants hors la loi cachent, malheureusement, une réalité sociale désolante rendant le quotidien de ces derniers un véritable cauchemar.
Cette clandestinité met en péril l’activité de ces vendeurs, mais aussi la santé des citoyens, car, selon l’Organisation de défense du consommateur, tous les produits exposés de cette manière sont issus de circuits de distribution inconnus, et présentent des risques sur la santé des consommateurs. C’est dans ce sens que l’Agence nationale de contrôle sanitaire et environnemental des produits (Ancsep), relevant du ministère de la Santé, a mis en garde contre l’achat de ces jouets exposés à la vente sur les circuits informels. Dans ce sens, l’agence rappelle que les jouets vendus dans des commerces informels, notamment les pistolets à feu et à bille, les pétards et les pointeurs laser, peuvent causer de graves accidents et des dégâts importants aux enfants.
L’agence a appelé les parents à acheter les jouets dans les points de vente formels pour préserver la sécurité de leurs enfants.